Saturday 19 April 2008

CRIMINALISER LA PROMOTION DE LA MAIGREUR

Au premier regard, une législation contre la promotion de la maigreur extrême peut nous paraître comme la seule chose responsable à faire de la part d’un gouvernement. Cependant, lorsqu’on analyse plus en profondeur ce que le gouvernement français propose, une telle législation serait non seulement inefficace mais assurément plus néfaste pour ces jeunes aux prises avec des dysfonctions graves vis à vis la nourriture.

Nous avons parcouru plusieurs des sites ‘’pro-ana’’ du type que le gouvernement français dénonce et nous avons découvert qu’en apparence du moins, ces sites sont entretenus par des adolescentes. Nous ne voyons d’ailleurs pas pourquoi que des adultes (à moins d’être malveillants et détraqués) auraient intérêt à promouvoir une maigreur qui peut conduire jusqu’à la mort. En surface, ces sites donnent en effet l’impression que l’anorexie est glorifiée et même encouragée. Cependant, au deuxième plan, nous apercevons plutôt, que des adolescentes isolées et stigmatisées tentent de normaliser leur condition et de partager leurs angoisses tant bien que mal.

À quoi exactement servira-t-il de criminaliser les actes de ces adolescentes et censurer leurs partages et qui au juste jettera-t-on en prison? Des adolescentes mineures aux prises avec des dysfonctions et problèmes psychologiques majeurs? Rendra-t-on également criminel le partage des trucs et secrets faits de vive voix entre elles ?

Plutôt que de criminaliser ces ados et de les isoler davantage, ces sites internet devraient au contraire servir d’alarme auprès de nos élus pour les pousser à analyser en profondeur ce qui motive ces jeunes à faire la promotion et la glorification de la maigreur. Le gouvernement n’est pas sans reproche à ce sujet, bien au contraire. Les messages excessifs de la part de la santé publique qui condamnent le surplus de poids et l’obésité, ne font rien pour promouvoir l’acceptation inconditionnelle de soi. Qualifier l’obésité de maladie, n’envoie guère un message équilibré à ces jeunes qui trouvent en ces messages une raison supplémentaire pour justifier leur hésitation de demander de l’aide. Par son message excessif contre l’obésité, la santé publique favorise un climat sociétal qui dé-normalise les obèses. De là à ce que l’anorexique trouve refuge dans un corps maigre pour se sentir davantage acceptée, il n’y a qu’un pas qu’elle est prête et disposée à franchir avec ce qu'elle estime être la bénédiction de l'état.


Maigres et hors la loi?

Dans le but de lutter contre l'anorexie, le gouvernement français entend faire de la promotion de la maigreur extrême un délit passible d'emprisonnement.

La ministre française de la Santé, Roselyne Bachelot, a vigoureusement soutenu cette semaine un projet de loi en ce sens qui a été adopté en première instance par l'Assemblée nationale.Elle a précisé que la cible première de l'initiative était les sites «pro-ana» - pour «proanorexie» - qui offrent des conseils en ligne pour perdre du poids par tous les moyens possibles, par exemple en recommandant des mets plus faciles à régurgiter.«Ces messages sont des messages de mort.

Notre pays doit être capable de persécuter ceux qui se cachent derrière ces sites», a déclaré Mme Bachelot.

Toute personne reconnue coupable de «provoquer une personne à rechercher une maigreur excessive» pourrait écoper de deux ans de prison et 30 000 d'amende. S'il apparaît que «cette provocation a entraîné la mort de la personne concernée», l'accusé sera passible de trois ans de prison et 45 000 d'amende.La ministre a indiqué que la loi, qui doit être revue par le Sénat avant de devenir effective, permettrait «d'ouvrir plus largement le débat public autour de cette maladie» et «d'éveiller les consciences».

Jamais trop mince

L'internet regorge de blogues animés par de jeunes adolescentes qui abordent l'anorexie sous le couvert de l'anonymat, parfois sur un ton revendicateur.Sur l'un d'eux, intitulé Soyez parfaite, soyez pro-ana, l'auteure explique vouloir partager ses techniques pour perdre du poids.Elle présente plusieurs photos d'adolescentes très maigres et met bien en évidence les «10 commandements pro-ana», qui doivent être lus «tous les jours pour le moral». Ils précisent notamment qu'être mince «est plus important que d'être en santé» et qu'on «ne peut jamais être trop mince».

Stéphane Clerget, un pédopsychiatre parisien ayant suivi plusieurs mannequins, croit que le projet de loi à l'étude est «bien intentionné» mais fait fausse route puisqu'il repose sur l'idée que l'on devient anorexique «par imitation».«Dès le XVIIe siècle, on recense plusieurs descriptions de cas à une époque où la mode était aux femmes enrobées. L'anorexie existait bien avant les blogues et les magazines», souligne le praticien.Bien que les causes exactes de ce dérèglement demeurent mystérieuses, les chercheurs évoquent des facteurs psychologiques ou neurobiologiques, voire génétiques.

Le gouvernement, croit M. Clerget, devrait d'abord assurer un large accès aux soins psychologiques et mettre l'accent sur la lutte contre le surpoids et la malbouffe pour que les enfants arrivent en santé à l'adolescence et entretiennent une saine image corporelle.

L'initiative gouvernementale ne sourit pas non plus aux élus socialistes, qui ont refusé d'appuyer le projet de loi. Le critique du parti en matière de santé, Jean-Marie Le Guen, a déclaré qu'il était «grotesque et ridicule» de vouloir lutter contre l'anorexie par une approche pénale.Ces critiques n'ont en rien entamé la détermination de Mme Bachelot, qui a fait signer récemment par les professionnels de la mode, de la publicité et des médias une «charte de bonne conduite» sur l'image corporelle.

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